Cass. crim. 7 mars 2017, n° 16-80.754 : Omission de porter secours : le médecin urgentiste, le malade en fin de vie et les querelles de famille

Patrick MISTRETTA

Professeur de Droit privé et sciences criminelles
Directeur du Centre de droit pénal
Université Jean Moulin – Lyon 3

 

Parmi les infractions réellement susceptibles d’être commises par les médecins, figure le délit d’omission de porter secours dont il est souvent fait état dans ces colonnes. On sait à cet égard à quel point la jurisprudence se montre sévère s’agissant des médecins en raison de leur aptitude naturelle à porter secours, ce qui l’autorise parfois à étirer de manière peu rationnelle les éléments constitutifs de l’infraction prévue à l’article 223-6 alinéa 2 du Code pénal notamment sur le plan de l’exigence morale du délit (P. Mistretta, Droit pénal médical, Cujas, 2013, n° 293 s.). Cette tendance empreinte de sévérité n’est pas nouvelle, mais elle évolue au fil des avancées du droit médical et des conditions nouvelles d’exercice de la médecine. Plus le malade conquiert en effet des droits nouveaux, plus le médecin voit ses obligations s’accroitre et se complexifier, au risque de se voir reprocher certaines nouvelles formes d’omissions susceptibles de nourrir le délit de l’article 223-6 du Code pénal. Les droits du malade en fin de vie ayant focalisé l’attention du législateur contemporain, il ne faut pas s’étonner de voir fleurir des arrêts tentant de qualifier pénalement les défaillances du corps médical dans la mise en œuvre des nouveaux protocoles et des nouveaux droits reconnus en la matière. La Cour de cassation a déjà eu à se prononcer sur la problématique de la gestion de la fin de vie au service des urgences pour décider que ne saurait constituer une omission de porter secours à une personne en péril le fait pour un médecin de ne pas proposer à son patient atteint d’une grave maladie un protocole de soins palliatifs qui aurait permis de limiter ses souffrances avant son décès (Crim. 11 juin 2014, n° 13-84.763, RSC 2015 p. 419, note P. Mistretta).

Si la décision est conforme à la stricte orthodoxie juridique, le Code pénal ne sanctionnant que le défaut d’assistance, ce qui n’était pas le cas en l’espèce, on peut douter de la pérennité de la solution après le vote de la loi n° 2016-87 du 2 février 2016 créant de nouveaux droits pour les personnes malades en fin de vie (P. Mistretta, « De l’art de légiférer avec tact et mesure. À propos de la loi n° 2016-87 du 2 février 2016 créant de nouveaux droits pour les personnes malades en fin de vie », JCP G 2016, doctr. 240). Ce nouveau texte emblématique reconnait en effet désormais le droit de recevoir, sur l’ensemble du territoire, les traitements et les soins « qui garantissent le meilleur apaisement possible de la souffrance » (Art. L.1110-5 du CSP)  et plus spécifiquement encore « le droit de recevoir des traitements et des soins visant à soulager sa souffrance. Celle-ci doit être, en toutes circonstances, prévenue, prise en compte, évaluée et traitée» (Art. L.1110-5-3 du CSP).

La question de la portée de ces nouvelles dispositions législatives sur le délit d’omission de porter secours reste donc posée, la Cour de cassation s’étant prononcée avant la loi de 2016, mais des éléments de réponse apparaissent déjà dans l’analyse d’un arrêt rendu le 7 mars 2017 relatif à l’obstination déraisonnable et à la procédure d’arrêt des soins en cas de fin de vie. En l’espèce, une personne âgée de 89 ans, placée sous tutelle confiée à l’union départementale des associations familiales, a été admise à la demande du médecin de la maison de retraite où elle séjournait dans un centre hospitalier universitaire dans un état de détresse respiratoire avec coma. Devant la gravité de la situation, le médecin urgentiste contacta, conformément aux indications figurant sur la fiche d’admission de la patiente, l’un de ses fils qui lui précisa ne pas souhaiter de thérapeutique agressive ou invasive. Peu de temps après, la patiente faisait un arrêt cardiaque et n’était pas réanimée, conformément à ce qui avait été convenu. L’autre fils de la patiente se constituait alors partie civile pour des faits qu’il qualifiait de refus de soins ayant entraîné la mort en mettant en cause la responsabilité de son frère et surtout du médecin qui n’avait pas pris son attache. Saisie à propos de l’ordonnance ayant prononcé un non-lieu général, la chambre criminelle rejeta le pourvoi estimant que le délit d’omission de porter secours n’était pas constitué.

L’arrêt est intéressant d’abord en raison du fait qu’il existait un doute sur la portée des soins que le médecin avait été autorisé à prodiguer à la patiente. Le fils contacté par l’hôpital avait en effet indiqué au cours de l’instruction ne pas avoir défini avec les médecins un protocole de réanimation, ni avoir émis un avis sur la nature des soins à prodiguer à sa mère. A l’évidence, le dialogue et l’information médicale fournie avaient été limités. Pour autant, la cour juge que le malade « a bénéficié de soins adaptés à son état, soit d’un traitement antibiotique et de tous les soins qu’elle était en mesure de supporter, décidés, ( …)  en concertation entre, d’une part, les praticiens, lesquels s’accordaient sur la gravité de son état de santé et sur l’inefficacité de toute technique de réanimation et d’autre part, M. Christian X ».

Au-delà de l’objet de l’information médicale, l’arrêt rapporté posait surtout la question de savoir si la procédure d’arrêt ou de limitation des soins avait été respectée notamment quant à la procédure collégiale que la loi impose au corps médical.  La question est centrale car elle permet de rejoindre les modalités constitutives du délit d’omission de porter secours. L’un des moyens du pourvoi soutenait effectivement que la violation de la procédure collégiale caractérisait le délit de non-assistance en danger. Et il faut convenir qu’en l’espèce, la procédure collégiale visée à l’article L. 1110-5-1 du Code de la santé publique, qui indique aujourd’hui que lorsque les traitements et les soins médicaux « apparaissent inutiles, disproportionnés ou lorsqu’ils n’ont d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris, conformément à la volonté du patient et, si ce dernier est hors d’état d’exprimer sa volonté, à l’issue d’une procédure collégiale définie par voie réglementaire », n’avait pas été mise en œuvre d’une manière satisfaisante ainsi que l’avait montré l’instruction. A ce jour, l’article R. 4127-37-2 du Code de la santé publique issu du décret n°2017-499 du 6 avril 2017 prévoit très précisément que lorsque le patient est hors d’état d’exprimer sa volonté, la décision de limiter ou d’arrêter les traitements dispensés, au titre du refus d’une obstination déraisonnable, ne peut être prise qu’à l’issue de la procédure collégiale prévue à l’article L. 1110-5-1 et dans le respect des directives anticipées et, en leur absence, après qu’a été recueilli auprès de la personne de confiance ou, à défaut, auprès de la famille ou de l’un des proches le témoignage de la volonté exprimée par le patient. En l’espèce, faute de directives anticipées et de personne de confiance désignée, les médecins devaient donc solliciter la famille pour connaitre les souhaits de la malade quant à sa fin de vie et aux traitements médicaux réalisables. En n’interrogeant que l’un des fils, s’en vraisemblablement chercher à savoir si d’autres frères et sœurs constituaient la famille, et donc en sélectionnant au final ce qui compose la famille représentant la volonté du malade, les médecins ne respectaient pas les exigences légales. C’était prendre le risque d’être confronté à une famille divisée, comme dans l’affaire Vincent Lambert, et c’est bien ce qui se produisit dans l’affaire rapportée où un conflit ancien opposait le fils consulté à son frère. Plus encore, le malade étant placé sous tutelle au moment de son hospitalisation, le corps médical, confronté à une personne de 89 ans, aurait dû s’interroger sur l’existence d’une protection juridique dès lors que l’article R. 4127-37-2 du Code de la santé publique oblige le médecin à recueillir en outre l’avis du tuteur avant de mettre en œuvre la décision de limitation ou d’arrêt de traitement. Si la procédure n’avait donc pas à l’évidence été respectée à la lettre, restait à savoir si le délit d’omission de porter secours était pour autant constitué. Les juges ne l’ont pas pensé dès lors que la personne malade avait bénéficié de soins adaptés à son état, avec un consensus médical au sein du service et un minimum de concertation avec la famille. Une assistance avait donc été portée, et sans doute le fait que le décès de l’intéressée soit intervenu très peu de temps après son admission à l’hôpital ainsi que l’urgence à agir ont-ils largement pesé dans la décision pénale. Pour autant, on ne saurait trop conseiller aux médecins, notamment urgentistes et réanimateurs, de s’imprégner intensément des nouvelles dispositions législatives et réglementaires qui régissent l’arrêt et la limitation des traitements des malades en fin de vie ou pas, sous peine d’être à nouveau poursuivis sur le fondement de l’article 223-6 du Code pénal et de provoquer la Cour de cassation qui, on le répète, est peu clémente en la matière. A moins que le législateur ne s’empare lui-même du sujet pour inciter les médecins à respecter très scrupuleusement la procédure et institue une incrimination autonome sanctionnant pénalement le défaut de respect des règles de limitation et d’arrêt des traitements, incrimination qui à ce jour n’existe pas encore …

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